Voici certainement l’expression vedette de l’année 2022. Enfin, 2021 ? 2020 ? Quand cela a-t-il bien pu commencer, au juste ?
On ne sait plus. On constate, voilà tout, comptant les « pas de souci » et les « Y a pas de souci » à la journée, parfois à l’heure.
C’est une expression simple, pratique, passe-partout.
Aux multiples significations.
La première, l’originelle peut-être, serait « il n’y a pas de souci », autrement dit « c’est d’accord, sans problème, je n’y vois pas d’inconvénient » :
– Pourriez-vous me prévenir quand mon colis arrive ?
– Pas de souci.
On pourrait aussi bien dire « bien sûr », « ce sera fait » ou encore « oui, c’est possible, je vous contacterai ». C’est ici le signe d’un accord, d’une ouverture de possible, mais aussi d’un engagement : « comptez sur moi » pourrions-nous y entendre.
Puis vient la dérivée, dont l’usage est bien plus contemporain :
– Je vous remercie de m’avoir prévenue !
– Pas de souci.
On voit bien la nuance de sens : ici l’expression vient plutôt signifier « je vous en prie », « ce n’est rien », ou pire, « avec plaisir ». Pire, car quel dommage de se priver d’un si joli mot au quotidien : le plaisir.
Et même : « cela m’a fait plaisir de vous aider »… Et voilà, quelle belle journée s’annonce quand une telle phrase est adressée par un être humain à un autre ! Tout de suite, l’ensoleillement, la chaleur du lien.
Il y a encore une dérivée :
– Je ne serai pas là demain mais je vais demander à mon collègue de vous prévenir quand votre colis arrive.
– Pas de souci.
Là, l’expression franchit un cap, celle du « merci » ou « c’est gentil » ou encore « ah c’est super, merci beaucoup ! ». Ce serait l’expression d’une gratitude, cependant cette gratitude ne s’exprime pas.
Ce serait la formulation de remerciements, de ceux-là même qui nous mettent en dette vis-à-vis de l’autre et ainsi créent du lien : nous le savons depuis Marcel Mauss au moins, le don crée la dette, la dette crée le lien, et nous sommes des êtres de lien.
Cependant dans « pas de souci », ces remerciements restent inaudibles.
Actuellement, nous en sommes à peu près à cela :
– Pourriez-vous me prévenir quand mon colis arrive ?
– Pas de souci // Attendez, non, je ne serai pas là demain mais je vais demander à mon collègue de le faire, et je m’assurerai après-demain que vous avez bien été prévenue.
-Pas de souci // Au fait, merci pour votre sms la dernière fois !
– Pas de souci //
Cela fait beaucoup d’absence de souci, tout cela, non ?
Parce justement, il y a souci ! Le souci de l’autre, c’est la sollicitude, ce noble sens que l’on acquiert dans la petite enfance : la sollicitude pour l’autre, c’est la capacité à s’identifier à ses joies et ses peines, à se mettre à sa place, lui vouloir du bien, se soucier de lui, en somme.
Il y a, du souci. Parce que le souci de l’autre, c’est la vie.
Alors ce « pas de souci », c’est un peu comme les toxines qui s’accumulent dans notre corps si l’on ne s’en préoccupe pas.
Au bout d’un moment, cela fait mal aux articulations. « Pas de souci » efface les expressions de sollicitude, gratitude, de plaisir dans l’échange et dans le lien, ainsi que les expressions de préoccupation des uns pour les autres.
Cela fait mal au lien, à la demande, à l’engagement, à la gratitude, au don et à la dette.
Je proposerais volontiers une petite « détox » de « pas de souci », ou mieux, un jeûne !
Et si on revenait à l’origine de l’expression ?
D’après le site : www.projet-voltaire.fr
Avis de l’experte – Sandrine Campese, membre du comité d’experts Projet Voltaire
Un sans-souci est une personne qui ne s’inquiète de rien, qui ne se préoccupe pas de son avenir. Ce nom, qui s’écrit avec un trait d’union, est traditionnellement invariable. Mais, depuis les rectifications orthographiques de 1990, on peut écrire « un sans-souci », « des sans-soucis ». Dans le même esprit, nous avons également le « je-m’en-foutiste ».
Sans-Souci (ou Sanssouci) est aussi le nom de l’ancien palais d’été du roi de Prusse Frédéric II. C’est dans ce palais, situé à Potsdam, dans les environs de Berlin, que Voltaire a effectué plusieurs séjours dès 1749… avant de se brouiller définitivement avec Frédéric.
En témoignage de cette période, Voltaire nous a laissé ce célèbre rébus graphique. Il s’agirait de l’invitation de Frédéric II.
P à 6
venez 100
Réponse de Voltaire :
6 G a 7
Résolution du rébus graphique : « Venez souper à Sans-Souci » (Venez sous P à 100 sous 6) / J’ai grand appétit entre 6 et 7 heures (G grand A petit entre 6 et 7).